Six jours après l’annonce du Brexit, trois constats s’imposent. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, les dirigeants européens n’avaient rien prévu pour le cas où les britanniques choisiraient le non à l’Union ! Aucune unité de vue n’existe en son sein, en particulier entre la France et l’Allemagne, sur les réponses à apporter à la situation née du Brexit. Et une fois encore, il n’y a ni responsable, ni coupable !
Pourtant, c’est bien parce que nos dirigeants politiques ont refusé, depuis 35 ans, d’exercer leurs responsabilités européennes que nous en sommes là aujourd’hui. Plutôt que de rêver, de bâtir et d’endosser l’Union, nos gouvernants l’ont utilisée comme paravent de leurs propres faiblesses et comme bouc émissaire de leurs décisions impopulaires. Leur panique actuelle face au risque de dislocation européenne est éloquente. Sans l’Union, il n’y aurait plus d’excuse possible. Le roi serait nu…
Le risque d’éclatement existe, comme le confirme le sondage publié hier par Le Figaro. Le oui à l’Europe l’emporterait encore en France en cas de référendum sur l’appartenance à l’Union. Mais il ne rassemblerait plus que 45% des électeurs contre 33% pour le non, 22% des Français se disant indécis, donc capables de basculer dans un camp ou dans l’autre.
Pour donner un avenir à l’Europe, il y a donc urgence à la réconcilier avec le peuple. Ce n’est pas en cédant à la peur que l’on y parviendra. L’insistance mise par nos gouvernants à pousser rapidement la Grande-Bretagne vers la sortie témoigne de leur volonté de passer le plus vite possible à autre chose. Mais remettre le couvercle sur la marmite ne suffira pas à éteindre le feu !
L’Europe n’a, contrairement aux nations, rien de naturel. La Communauté européenne a existé par la volonté déterminée des six pays fondateurs, guidés par des hommes d’Etat éclairés, d’assurer durablement la paix, la prospérité et la puissance de leurs nations respectives en rassemblant leurs forces et en rapprochant leurs peuples. Laissée aux mains des technocrates, privée de toute volonté politique, l’Union européenne est condamnée à dépérir.
Elle ne pourra repartir de l’avant que sous l’action d’hommes politiques décidés à agir en architectes visionnaires de l’Europe et prêts à assumer leurs responsabilité face à l’histoire. Nos dirigeants actuels n’en prennent pas le chemin. Mardi, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre et les représentants de l’opposition ont communié dans une vision minimaliste de l’Union. Pourtant, ce n’est pas pour avoir trop promis, mais pour avoir trop peu délivré que celle-ci a perdu l’adhésion des peuples. Stériliser l’Europe, en réduire les compétences ou en limiter les pouvoirs ne suffira pas à retrouver le soutien populaire.
Il n’y a pas plus d’avenir, pour l’Europe, dans le retour en arrière que dans la fuite en avant. L’heure est venue d’échapper aux voies sans issue de l’Europe des grandes déclarations sans lendemain et de l’Europe honteuse pour choisir celle d’une Europe assumée, concrête et ambitieuse en phase avec les attente des peuples.
L’Union doit renouer avec le concret et apporter d’urgence des réponses aux motifs d’irritation des peuples à son encontre. L’abus normatif en est un. Mais, plutôt que de reprendre sans réfléchir le refrain facile sur les excès de normalisation européenne, nos responsables politiques devraient rappeler qu’il ne peut y avoir de libre-circulation sans norme commune, sauf à créer des distorsions de concurrence et à laisser les normes les plus basses s’imposer partout, tout en proposant de nouvelles solutions. Car elles existent !
Il suffit ainsi de prévoir un double régime de libre circulation pour les biens et services répondant aux normes européennes d’une part et de non-circulation au delà des frontières nationales pour ceux qui choisissent seulement de satisfaire aux normes nationales. Ainsi seront conciliées les aspirations légitimes à la sécurité des consommateurs d’une part, et au respect des traditions d’autre part.
L’Europe doit aussi retrouver une ambition. Dans l’état actuel des opinions publiques, il convient d’abord de prendre le temps de clarifier et de redéfinir ce qui fondent l’Union, ses principes fondamentaux, non négociables, ses objectifs, en termes de paix, de sécurité, de développement ou de justice sociale, et ses compétences incontestées. C’est sur la base de cette Europe socle que pourront ensuite être développés de nouveaux projets, avec une gouvernance appropriée, pour les pays de l’Union qui souhaitent poursuivre le mouvement de construction européenne. Cette Europe des projets devra reposer sur une adhésion volontaire, non automatique, permettant de s’assurer que chaque exécutif national prenne et assume ses responsabilités.
Le 9 mai 1950, Robert Schuman appelait les Européens à un acte hardi, un acte constructif pour construire « une Europe solidairement unie et fortement charpentée », « une Europe où le niveau de vie s’élèvera » à réaliser « par des réalisations concrètes », créant « une solidarité de fait ». 66 ans après, c’est à notre génération d’agir pour lui donner un nouveau souffle. Son avenir est entre nos mains.