Le développement des technologies numériques et digitales nous offre d’immenses opportunités de croissance et de progrès. Mal exploitées ou détournées, ces nouvelles technologies peuvent aussi porter atteinte à l’exercice de nos libertés fondamentales ou faire l’objet d’une prédation et d’une appropriation indue par des intérêts privés.

Le projet de loi Lemaire contient des propositions intéressantes. Il a le double défaut d’être peu innovant et de rentrer trop souvent dans des détails qui le rendront rapidement obsolète plutôt que de fixer les règles essentielles.

L’enjeu est immense. Notre pays ne pourra conserver sa souveraineté et son indépendance que s’il joue un rôle majeur dans le monde numérique du XXIème siècle et dans la détermination de ses règles de gouvernance. Le risque est grand sinon de nous laisser dominer par de grandes plateformes digitales, américaines aujourd’hui, chinoises ou indiennes demain, tuant la concurrence grâce à l’offre de services gratuits financés par l’exploitation massive des données personnelles et se jouant des fiscalité nationales.

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de définir clairement les principes essentiels permettant d’assurer le développement des technologies numériques et digitales dans le respect des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen, ainsi que de l’intérêt de la communauté toute entière.

C’est l’objet du présent projet de Déclaration des droits numériques de l’homme et du citoyen.

Art. 1er. Tout homme a droit, dès sa naissance, à une identité numérique, comprenant – à la date de la présente déclaration – le bénéfice d’un numéro de téléphone mobile personnel qui lui restera acquis tout sa vie, quel que soit son lieu de résidence et sauf s’il décide de sa propre initiative d’en changer, ainsi que d’une adresse email individuelle.

Ces attributs et supports de l’identité numérique étant appelés à évoluer en fonction des innovations technologiques, il reviendra à la loi d’en mettre à jour régulièrement la définition des éléments constitutifs.

Article 2. Pour assurer le plein exercice de ce droit, est créé un service public de messagerie, placé sous le contrôle de la seule autorité judiciaire, gardienne des libertés publiques, et permettant à chaque citoyen de disposer d’au moins une adresse et une boîte email. Ce service public de messagerie peut faire l’objet de délégation à des opérateurs privés et des adaptations nécessaires à l’évolution des technologies dans les conditions prévues par la loi.

Article 3 : Tous les citoyens disposent, sauf s’ils font l’objet d’une peine privative de liberté dans les conditions prévues par la loi, du libre accès à Internet et à tous les autres réseaux sociaux. La loi assure la neutralité d’Internet et des autres réseaux sociaux.

Article 4 : Toute personne a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses échanges numériques, sauf si la protection de l’ordre public exige leur interception et leur lecture dans le strict cadre des nécessités publiques fixées par la loi et sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Article 5 : Les données numériques de chacun sont strictement personnelles et confidentielles. Ces données numériques personnelles s’entendent, notamment, de tous les identifiants individuels et de toutes les informations tirées de l’utilisation, par l’individu, de services numériques, téléphoniques ou digitaux.

Il revient à chaque hébergeur et /ou détenteur de ces données, à quelque titre que ce soit, d’en maintenir la confidentialité la plus complète, sauf à répondre de toute violation dans les modalités déterminées par la Loi.

Article 6. Les données numériques personnelles sont la stricte propriété de l’individu. Nul ne peut les exploiter commercialement sans accord de la personne à laquelle elles appartiennent et sans juste rémunération.

Article 7. Pour assurer le plein exercice de ce droit, toute exploitation de donnée numérique personnelle devra donner lieu, au moins une fois par an, à communication à l’individu concerné des revenus générés.

Ces revenus devront lui être reversés – sous déduction éventuelle de la part laissée par la loi aux opérateurs pour assurer la gratuité des services – et à moins que l’individu concerné n’ait préalablement accepté de les affecter à un compte individuel de formation ou aux organismes de retraite pour assurer le paiement de versements supplémentaires qu’il souhaite effectuer. Dans ce dernier cas, il reviendra à la loi de définir les régimes d’exemption ou d’exonération fiscales, totales ou partielles, s’appliquant aux revenus ainsi affectés.

La seule exception à ce principe concerne la possibilité d’analyse et d’exploitation des données numériques traitées collectivement et pour le seul intérêt de la communauté publique sans aucun bénéfice commercial.

Par ailleurs, et dans les cas où l’individualisation des revenus n’est pas possible, ils sont reversés – sous la même déduction éventuelle – aux organismes de Sécurité Sociale pour le bénéfice de la communauté, sous le contrôle du Parlement.

Article 8. Le respect de la propriété personnelle et celui de la confidentialité des données numériques  individuelles sont des principes absolus. Quiconque essaiera de soustraire de telles informations à l’insu de leur propriétaire aura à en répondre dans les conditions prévues par la loi.

Article 9. La libre expression et la libre communication, notamment par voie numérique, des pensées et des opinions sont des droits fondamentaux de l’homme : tout citoyen peut donc s’exprimer librement sur Internet et les réseaux sociaux sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les conditions déterminées par la loi.

Article 10. Toute modification des correspondances privées ou publiques d’un individu sans son consentement est interdite. Cette interdiction s’applique également aux fournisseurs de services Internet ou de réseaux sociaux. Sa violation est sanctionnée dans les conditions prévues par la loi.

Article 11. La loi garantit à tout citoyen la possibilité de tenir et d’alimenter un blog pour exprimer ses opinions.  Pour permettre le libre exercice de ce droit, est créé un service public national de blogs, placé sous le contrôle de la seule autorité judiciaire, gardienne des libertés publiques. Ce service public de blog peut faire l’objet de délégation à des opérateurs privés. Seuls les coûts d’hébergement du blog seront facturés à son bénéficiaire par le service public des blogs.

Les technologies étant appelées à évoluer en fonction des innovations technologiques, il reviendra à la loi de mettre à jour régulièrement la définition du support d’expression approprié pour assurer l’exercice effectif de ce principe.

Article 12 : Tout homme bénéficie d’un droit à l’oubli pour ses publications digitales. En conséquence, il revient aux hébergeurs, détenteurs ou diffuseurs de ces publications de procéder, sur demande de la personne concernée, à leur effacement et d’en éliminer toute trace, sauf dans le cas où la législation ou une décision de justice exigent leur maintien.

Article 13 : La loi garantit à toute personne un droit d’accès, de rectification et d’opposition aux informations numériques la concernant, quel que soit le support autorisé. Ce droit à la transparence numérique s’impose à tous les hébergeurs et autres exploitants de données numériques.

Article 14 : Tout citoyen a droit au respect de sa tranquillité numérique. L’envoi d’emails, ou de tout autre message numérique, répétitifs (« spams ») est interdit sans accord du destinataire qui peut à tout moment y mettre fin. L’envoi de spams à des personnes mineures ou particulièrement vulnérables est un motif d’aggravation de peine dans les conditions prévues par la  loi.

Article 15. Tout employé bénéficie d’un droit de déconnexion numérique. Nul ne pourra lui reprocher de ne pas être connecté en dehors de ses périodes de travail contractuellement ou légalement déterminées.

Article 16. Toute personne bénéficie d’un droit à l’oubli numérique après sa mort sauf si elle a expressément exprimé un vœu différent. Ce droit peut être exercé par ses ayant-droits.

Article 17. Pour le bénéfice de la communauté et contre toute appropriation indue, il est prévu que les revenus tirés de l’exploitation de données électroniques et autres services numériques sont taxés dans le pays de leur consommation.

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